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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/236

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fait bon aimer en terre comme l’on aime au ciel, et apprendre à s’entrechérir en ce monde comme nous ferons éternellement en l’autre !

Je ne parle pas ici de l’amour simple de charité, car il doit être porté à tous les hommes ; mais je parle de l’amitié spirituelle, par laquelle deux ou trois ou plusieurs âmes se communiquent leur dévotion, leurs affections spirituelles, et se rendent un seul esprit entre elles. Qu’à bon droit peuvent chanter telles heureuses âmes : « Oh ! que voici combien il est bon et agréable que les frères habitent ensemble ! » Oui, car le baume délicieux de la dévotion distille de l’un des cœurs en l’autre par une continuelle participation, si qu’on peut dire que Dieu a répandu sur cette amitié sa bénédiction et la vie jusques aux siècles des siècles.

Il m’est avis que toutes les autres amitiés ne sont que des ombres au prix de celle-ci, et que leurs liens ne sont que des chaînes de verre ou de jayet, en comparaison de ce grand lien de la sainte dévotion qui est tout d’or.

Ne faites point d’amitié d’autre sorte, je veux dire des amitiés que vous faites ; car il ne faut pas ni quitter ni mépriser pour cela les amitiés que la nature et les précédents devoirs vous obligent de cultiver, des parents, des alliés, des bienfaiteurs, des voisins et autres ; je parle de celles que vous choisissez vous-même.

Plusieurs vous diront peut-être qu’il ne faut avoir aucune sorte de particulière affection et amitié, d’autant que cela occupe le cœur, distrait l’esprit, engendre les envies : mais ils se trompent en leurs conseils ; car ils ont vu ès écrits de plusieurs saints et dévots auteurs que les amitiés particulières et affections extraordinaires