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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/254

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fois, comme rétive ; Balaam cependant la frappait cruellement de son bâton pour la faire avancer, jusques à la troisième fois qu’elle, étant couchée tout à fait sous Balaam, lui parla par un grand miracle, disant : « Que t’ai-je fait ? pourquoi tu m as battue déjà par trois fois ? » Et tôt après, les yeux de Balaam furent ouverts, et il vit l’ange qui lui dit : « Pourquoi as-tu battu ton ânesse ? si elle ne se fût détournée de devant moi, je t’eusse tué et l’eusse réservée ». Lors Balaam dit à l’ange : « Seigneur, j’ai péché, car je ne savais pas que tu te misses contre moi en la voie ». Voyez-vous, Philothée, Balaam est la cause du mal, et il frappe et bat la pauvre ânesse qui n’en peut mais.

Il en prend ainsi bien souvent en nos affaires ; car cette femme voit son mari ou son enfant malade, et soudain, elle court au jeûne, à la haire, à la discipline, comme fit David pour un pareil sujet. Hélas ! chère amie, vous battez le pauvre âne, vous affligez votre corps, et il ne peut mais de votre mal, ni de quoi Dieu a son épée dégainée sur vous ; corrigez votre cœur qui est idolâtre de ce mari, et qui permettait mille vices à l’enfant et le destinait à l’orgueil, à la vanité et à l’ambition. Cet homme voit que souvent il tombe lourdement au péché de luxure : le reproche intérieur vient contre sa conscience avec l’épée au poing, pour l’outrepercer d’une sainte crainte ; et soudain son cœur revenant à soi : « Ah ! félonne chair, dit-il ; ah ! corps déloyal, tu m’as trahi » ; et le voilà incontinent à grands coups sur cette chair, à des jeûnes immodérés, à des disciplines démesurées, à des haires insupportables. O pauvre âme, si ta chair pouvait parler comme l’ânesse de Balaam, elle