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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/348

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elle entre en des grandes inquiétudes et impatiences, lesquelles n’ôtant pas le mal précédent, ains au contraire l’empirant, l’âme entre en une angoisse et détresse démesurée, avec une défaillance de courage et de force telle, qu’il lui semble que son mal n’ait plus de remède. Vous voyez donc que la tristesse, laquelle au commencement est juste, engendre l’inquiétude ; et l’inquiétude engendre par après un surcroît de tristesse qui est extrêmement dangereux.

L’inquiétude est le plus grand mal qui arrive en l’âme, excepté le péché ; car, comme les séditions et troubles intérieurs d’une république la ruinent entièrement, et l’empêchent qu’elle ne puisse résister à l’étranger, ainsi notre cœur étant troublé et inquiété en soi-même, perd la force de maintenir les vertus qu’il avait acquises, et quant et quant le moyen de résister aux tentations de l’ennemi, lequel fait alors toutes sortes d’efforts pour pêcher, comme l’on dit, en eau trouble.

L’inquiétude provient d’un désir déréglé d’être délivré du mal que l’on sent, ou d’acquérir le bien que l’on espère ; et néanmoins il n’y a rien qui empire plus le mal et qui éloigne plus le bien, que l’inquiétude et empressement. Les oiseaux demeurent pris dedans les filets et lacs, parce que s’y trouvant engagés ils se débattent et remuent déréglément pour en sortir, ce que faisant ils s’enveloppent toujours tant plus. Quand donc vous serez pressée du désir d’être délivrée de quelque mal ou de parvenir à quelque bien, avant toute chose mettez votre esprit en repos et tranquillité, faites rasseoir votre jugement et votre volonté ; et puis, tout bellement et doucement, pourchassez l’issue de votre désir,