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Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/123

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DE LA SOTTISE DÉDAIGNEUSE

les gens médiocres sont-ils pour la plupart silencieux et ne répandent-ils d’autre agrément dans la société que celui d’une bienveillance aimable. En Allemagne, les hommes distingués seuls savent causer, tandis qu’en France tout le monde s’en tire. Les hommes supérieurs en France sont indulgents, les hommes supérieurs en Allemagne sont très-sévères ; mais en revanche les sots chez les Français sont dénigrants et jaloux, et les Allemands, quelque bornés qu’ils soient, savent encore se montrer encourageants et admirateurs. Les idées qui circulent en Allemagne sur divers sujets sont nouvelles et souvent bizarres ; il arrive de là que ceux qui les répètent paroissent avoir pendant quelque temps une sorte de profondeur usurpée. En France, c’est par les manières qu’on fait illusion sur ce qu’on vaut. Ces manières sont agréables, mais uniformes, et la discipline du bon ton achève de leur ôter ce qu’elles pourroient avoir de varié.

Un homme d’esprit me racontoit qu’un soir, dans un bal masqué, il passa devant une glace, et que, ne sachant comment se distinguer lui-même au milieu de tous ceux qui portoient un domino pareil au sien, il se fit un signe de tête pour se reconnoître ; on en peut dire autant de la parure