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Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/262

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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

que le théâtre anglais avoit plus de rapports avec le génie de ses compatriotes. Dans ses jugements sur Mérope, Zaïre, Sémiramis et Rodogune, ce n’est point telle ou telle invraisemblance particulière qu’il relève ; il s’attaque à la sincérité des sentiments et des caractères, et prend à partie les personnages de ces fictions comme des êtres réels : sa critique est un traité sur le cœur humain autant qu’une poétique littéraire. Pour apprécier avec justice les observations de Lessing sur le système dramatique en général, il faut examiner, comme nous le ferons dans les chapitres suivants, les principales différences de la manière de voir des Français et des Allemands à cet égard. Mais ce qui importe à l’histoire de la littérature, c’est qu’un Allemand ait eu le courage de critiquer un grand écrivain français, et de plaisanter avec esprit le prince des moqueurs, Voltaire lui-même.

C’étoit beaucoup pour une nation sous le poids de l’anathème qui lui refusoit le goût et la grâce, de s’entendre dire qu’il existoit dans chaque pays un goût national, une grâce naturelle, et que la gloire littéraire pouvoit s’acquérir par des chemins divers. Les écrits de Lessing donnèrent une impulsion nouvelle ; on lut Shakespear, on osa se dire Allemand en Allemagne, et les droits de