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Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/302

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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

Celui qui voudroit trop hasarder dans un poëme épique pourroit bien encourir le blâme sévère du bon goût français ; mais celui qui ne hasarderait rien n’en seroit pas moins dédaigné.

Boileau, tout en perfectionnant le goût et la langue, a donné à l’esprit français, l’on ne sauroit le nier, une disposition très-défavorable à la poésie. Il n’a parlé que de ce qu’il falloit éviter ; il n’a insisté que sur des préceptes de raison et de sagesse qui ont introduit dans la littérature une sorte de pédanterie très-nuisible au sublime élan des arts. Nous avons en français des chefs-d’œuvre de versification ; mais comment peut-on appeler la versification de la poésie ! Traduire en vers ce qui étoit fait pour rester en prose, exprimer en dix syllabes, comme Pope, les jeux de cartes et leurs moindres détails, ou comme les derniers poëmes qui ont paru chez nous, le trictrac, les échecs, la chimie, c’est un tour de passe-passe en fait de paroles, c’est composer avec les mots comme avec les notes des sonates sous le nom de poëme.

Il faut cependant une grande connoissance de la langue poétique pour décrire ainsi noblement les objets qui prêtent le moins à l’imagination, et l’on a raison d’admirer quelques morceaux dé-