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Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/53

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DES MŒURS DES ALLEMANDS

est plus prononcée en Allemagne que partout ailleurs, parce que la société n’en adoucit pas les nuances, nuit à quelques égards à l’esprit proprement dit. Les nobles y ont trop peu d’idées, et les gens de lettres trop peu d’habitude des affaires. L’esprit est un mélange de la connoissance des choses et des hommes ; et la société où l’on agit sans but, et pourtant avec intérêt, est précisément ce qui développe le mieux les facultés les plus opposées. C’est l’imagination, plus que l’esprit, qui caractérise les Allemands. J. P. Richter, l’un de leurs écrivains les plus distingués, a dit que l’empire de la mer étoit aux Anglais, celui de la terre aux Français, et celui de l’air aux Allemands : en effet, on auroit besoin, en Allemagne, de donner un centre et des bornes à cette éminente faculté de penser qui s’élève et se perd dans le vague, pénètre et disparoît dans la profondeur, s’anéantit à force d’impartialité, se confond à force d’analyse, enfin manque de certains défauts qui puissent servir de circonscription à ses qualités.

On a beaucoup de peine à s’accoutumer, en sortant de France, à la lenteur et à l’inertie du peuple allemand ; il ne se presse jamais, il trouve des obstacles à tout ; vous entendez dire, en Alle-