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Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/55

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DES MŒURS DES ALLEMANDS

noircies par la fumée de tabac, et d’en tendre tout à coup non-seulement la maîtresse, mais le maître du logis, improviser sur le clavecin, comme les Italiens improvisent en vers. L’on a soin, presque partout, que, les jours de marché, il y ait des joueurs d’instruments à vent sur le balcon de l’hôtel-de-ville qui domine la place publique : les paysans des environs participent ainsi à la douce jouissance du premier des arts. Les écoliers se promènent dans les rues, le dimanche, en chantant les psaumes en chœur. On raconte que Luther fit souvent partie de ce chœur dans sa première jeunesse. J’étois à Eisenach, petite ville de Saxe, un jour d’hiver si froid, que les rues même étoient encombrées de neige ; je vis une longue suite de jeunes gens en manteau noir, qui traversoient la ville en célébrant les louanges de Dieu. Il n’y avoit qu’eux dans la rue ; car la rigueur des frimas en écartoit tout le monde ; et ces voix, presqu’aussi harmonieuses que celles du midi, en se faisant entendre au milieu d’une nature si sévère, causoient d’autant plus d’attendrissement. Les habitants de la ville n’osoient, par ce froid terrible, ouvrir leurs fenêtres ; mais on apercevoit, derrière les vitraux, des visages tristes ou sereins, jeunes ou vieux, qui recevaient avec