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DE L’ALLEMAGNE

tout ce qui fait battre le cœur pour une idée généreuse double la véritable force de l’homme, sa volonté : mais l’égoïsme systématique, dans lequel on comprend quelquefois sa famille comme un appendice de soi-même, mais la philosophie, vulgaire au fond, quelque élégante qu’elle soit dans les formes, qui porte à dédaigner tout ce qu’on appelle des illusions, c’est-à-dire le dévouement et l’enthousiasme ; voilà le genre de lumières redoutable pour les vertus nationales ; voilà celles cependant que la censure ne sauroit écarter d’un pays entouré par l’atmosphère du dix-huitième siècle : l’on ne peut échapper à ce qu’il y a de pervers dans les écrits qu’en laissant arriver de toutes parts ce qu’ils contiennent de grand et de libre.

On défendoit à Vienne de représenter Don Carlos, parce qu’on ne voulait pas y tolérer son amour pour Elizabeth. Dans Jeanne d’Arc, de Schiller, on faisoit d’Agnès Sorel la femme légitime de Charles VII. Il n’étoit pas permis à la bibliothèque publique de donner à lire l’Esprit des Lois : mais, au milieu de cette gêne, les romans de Crébillon circuloient dans les mains de tout le monde ; les ouvrages licencieux entroient, les ouvrages sérieux étoient seuls arrêtés.