Aller au contenu

Page:De Staël – La Révolution française, Tome II.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Un nombre très-considérable d’hommes et de femmes de diverses opinions ont subi ces décrets d’exil qui donnent au souverain de l’état une autorité plus absolue encore que celle même qui peut résulter des emprisonnemens illégaux ; car il est plus difficile d’user d’une mesure violente que d’un genre de pouvoir qui, bien que terrible au fond, a quelque chose de bénin dans la forme. L’imagination s’attache toujours à l’obstacle insurmontable ; on a vu des grands hommes, Thémistocle, Cicéron, Bolingbroke, profondément malheureux de l’exil ; et Brolingbroke, en particulier, déclare, dans ses écrits, que la mort lui paroît moins redoutable.

Éloigner un homme ou une femme de Paris, les envoyer, ainsi qu’on le disoit alors, respirer l’air de la campagne, c’étoit désigner une grande peine avec des expressions si douces, que tous les flatteurs du pouvoir la tournoient facilement en dérision. Cependant il suffit de la crainte d’un tel exil, pour porter à la servitude tous les habitans de la ville principale de l’empire. Les échafauds peuvent à la fin réveiller le courage ; mais les chagrins domestiques de tout genre, résultat du bannissement, affaiblissent la résistance, et portent seulement à redouter la disgrâce du souverain qui peut vous infliger