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Page:De Staël – La Révolution française, Tome II.djvu/313

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CONSIDÉRATIONS

été remarqué dans la fumée d’encens dont on l’environnoit ; mais comme j’étois positivement le seul écrivain connu parmi les François, qui eût publié des livres sous son règne sans faire mention en rien de sa gigantesque existence, cela l’importunoit, et il finit par supprimer mon ouvrage sur l’Allemagne avec une incroyable fureur. Jusqu’alors ma disgrâce avoit consisté seulement dans l’éloignement de Paris ; mais depuis on m’interdit tout voyage, on me menaça de la prison pour le reste de mes jours : et la contagion de l’exil, invention digne des empereurs romains, étoit l’aggravation la plus cruelle de cette peine. Ceux qui venoient voir les bannis s’exposoient au bannissement à leur tour ; la plupart des François que je connoissois me fuyoient comme une pestiférée. Quand je n’en souffrois pas trop, cela me sembloit une comédie ; et, de la même manière que les voyageurs en quarantaine jettent par malice leurs mouchoirs aux passans, pour les obliger à partager l’ennui du lazaret, lorsqu’il m’arrivoit de rencontrer par hasard dans les rues de Genève un homme de la cour de Bonaparte, j’étois tentée de lui faire peur avec mes politesses.

Mon généreux ami, M. Matthieu de Montmorency, étant venu me voir à Coppet, il y re-