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Page:De Staël – La Révolution française, Tome III.djvu/356

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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

bon goût, qui s’insinuent plus facilement dans leur faveur que nos gens dans la nôtre, vivent et meurent sans avoir jamais l’idée des choses telles qu’elles sont. Les courtisans, en étudiant le caractère de leurs maîtres avec beaucoup de sagacité, n’acquièrent cependant aucune lumière véritable, même sur la connaissance du cœur humain, du moins sur celle qu’il faut pour diriger les nations. Un roi devroit se faire une règle de prendre pour premier ministre un homme qui lui déplût comme courtisan ; car jamais un génie supérieur ne peut se plier au point juste qu’il faut pour captiver ceux qu’on encense. Un certain tact, moitié commun et moitié fin, sert pour avancer dans les cours : l’éloquence, le raisonnement, toutes les facultés transcendantes de l’esprit et de l’âme scandaliseroient comme de la rébellion, ou seroient accablées de ridicule. « Quels discours inconvenans ! quels projets ambitieux ! » diroit l’un ; « Que veut-il ? que prétend-il ? » diroit l’autre ; et le prince partageroit l’étonnement de sa cour. L’atmosphère de l’étiquette finit par agir tellement sur tout le monde, que je ne sais personne d’assez audacieux pour articuler une parole signifiante dans le cercle des princes qui sont