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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/139

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CORINNE OU L’ITALIE.

rait servi cette triste conviction ! à m’afïliger de mes facultés comme d’un malheur, tandis qu’elles passaient en Italie pour un beau don du ciel.

Parmi les personnes que nous voyions, il y en avait qui ne manquaient pas d’esprit ; mais elles l’étouffaient comme une lueur importune ; et pour l’ordinaire, vers quarante ans, ce petit mouvement de leur tête s’était engourdi avec tout le reste. Mon père, vers la fin de l’automne, allait beaucoup à la chasse, et nous l’attendions quelquefois jusqu’à minuit. Pendant son absence, je restais dans ma chambre la plus grande partie de la journée, pour cultiver mes talens, et ma belle-mère en avait de l’humeur. — À quoi bon tout cela, me disait-elle, en serez-vous plus heureuse ? — Et ce mot me mettait au désespoir. Qu’est-ce donc que le bonheur, me disais-je, si ce n’est pas le développement de nos facultés ? Ne vaut-il pas autant se tuer physiquement que moralement ? Et s’il faut étouffer mon esprit et mon ame, que sert de conserver le misérable reste de vie qui m’agite en vain ? Mais je me gardais bien de parler ainsi à ma belle-mère. Je l’avais essayé une ou deux fois ; mais elle m’avait répondu qu’une femme était faite pour soigner le ménage de son