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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/145

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CORINNE OU L’ITALIE.

le plus dur qu’il soit possible d’entendre ; car on ne peut supporter l’envie que dans les pays où cette envie même est excitée par l’admiration qu’inspire les talens ; mais quel plus grand malheur que de vivre là où la supériorité ferait naître la jalousie et point l’enthousiasme ! là où l’on serait haï comme une puissance, en étant moins fort qu’un être obscur ! Telle était ma situation dans cet étroit séjour ; je n’y faisais qu’un bruit importun à presque tout le monde, et je ne pouvais, comme à Londres ou à Edimbourg, rencontrer ces hommes supérieurs qui savent tout juger et tout connaître, et qui, sentant le besoin des plaisirs inépuisables de l’esprit et de la conversation, auraient trouvé quelque charme dans l’entretien d’une étrangère, quand même elle ne se serait pas en tout conformée aux sévères usages du pays.

Je passais quelquefois des jours entiers dans les sociétés de ma belle-mère, sans entendre dire un mot qui répondît ni à une idée ni à un sentiment ; l’on ne se permettait pas même des gestes en parlant ; on voyait sur le visage des jeunes filles la plus belle fraîcheur, les couleurs les plus vives et la plus parfaite immobilité : singulier contraste entre la nature et la société ! Tous les âges avaient des plaisirs sem-