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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/197

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CORINNE OU L’ITALIE.

— N’avez-vous pas l’anneau, gage sacré ?.... — Je vous le rendrai, reprit-elle. — Non, jamais, dit-il. — Ah ! je vous le rendrai, continua-t-elle, quand vous désirerez de le reprendre ; et si vous cessez de m’aimer, cet anneau même m’en instruira. Une ancienne croyance n’apprend-t-elle pas que le diamant est plus fidèle que l’homme, et qu’il se ternit quand celui qui l’a donné nous trahit ?[1] — Corinne, dit Oswald, vous osez parler de trahison ? votre esprit s’égare ; vous ne me connaissez plus. — Pardon Oswald, pardon ! s’écria Corinne ; mais dans les passions profondes, le cœur est tout-à-coup doué d’un instinct miraculeux, et les souffrances sont des oracles. Que signifie donc cette palpitation douloureuse qui soulève mon sein ? Ah ! mon ami, je ne la redouterais pas, si elle ne m’annonçait que la mort. —

En achevant ces mots, Corinne s’éloigna précipitamment ; elle craignait de s’entretenir longtemps avec Oswald ; elle ne se complaisait point dans la douleur, et cherchait à briser les impressions de tristesse ; mais elles n’en revenaient que plus violemment lorsqu’elle les avait repoussées. Le lendemain, quand ils traversèrent les marais pontins, les soins d’Oswald pour Corinne

  1. Une ancienne tradition appuie le préjugé d’imagination qui persuade à Corinne que le diamant avertit de la trahison : on trouve cette tradition rappelée dans des vers espagnols dont le caractère est vraiment singulier. Le prince Fernand, Portugais, les adresse, dans une tragédie de Caldéron, au roi de Fez, qui l’a fait prisonnier. Ce prince aima mieux mourir dans les fers que de livrer à un roi maure une ville chrétienne, que son frère, le roi Edouard, offrait pour le racheter. Le roi maure, irrité de ce refus, fit éprouver les plus indignes traitemens au noble prince qui, pour le fléchir, lui rappelle que la miséricorde et la générosité sont les vrais caractères de la puissance suprême. Il lui cite tout ce qu’il y a de royal dans l’Univers : le lion, le dauphin, l’aigle parmi les animaux ; il cherche aussi parmi les plantes et les pierres, les traits de bonté naturelle que l’on attribue à celles qui semblent dominer toutes les autres, et c’est alors qu’il dit que le diamant qui sait résister au fer ; se brise de lui-même, et se fond en poudre pour avertir celui qui le porte de la trahison dont il est menacé. On ne peut savoir si cette manière de considérer toute la nature comme en rapport avec les sentimens et la destinée de l’homme est mathématiquement vraie ; toujours est-il qu’elle plaît à l’imagination, et que la poésie en général, et les poètes espagnols en particulier, en tirent de grandes beautés.
    Calderon ne m’est connu que par la traduction en Allemand d’Auguste Wilhelm Schlegel. Mais tout le monde sait en Allemagne, que cet écrivain, l’un des premiers poëtes de son pays, a trouvé le moyen aussi de transporter dans sa langue, avec la plus rare perfection, les beautés poétiques des Espagnols, des Anglais, des Italiens et des Portugais. On peut avoir une idée vivante de l’original quel qu’il soit, quand on le lit dans une traduction ainsi faite.