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Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/247

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CORINNE OU L’ITALIE.

intérieure que l’amour véritable ne permet jamais. — Ah ! s’il est ainsi, s’écria lord Nelvil, que ton génie se taise et que ton cœur soit tout à moi. — Il ne put prononcer ces paroles sans émotion, car elles promettaient dans sa pensée plus encore qu’il ne disait. — Corinne le comprit et n’osa répondre, de peur de rien déranger à la douce impression qu’elle éprouvait.

Elle se sentait aimée, et, comme elle était habituée à vivre dans un pays où les hommes sacrifient tout au sentiment, elle se rassurait facilement, et se persuadait que lord Nelvil ne pourrait pas se séparer d’elle : tout à la fois indolente et passionnée, elle s’imaginait qu’il suffisait de gagner des jours, et que le danger dont on ne parlait plus était passé. Corinne vivait enfin comme vivent la plupart des hommes lorsqu’ils sont menacés long-temps du même malheur ; ils finissent par croire qu’il n’arrivera pas, seulement parce qu’il n’est pas encore arrivé.

L’air de Venise, la vie qu’on y mène est singulièrement propre à bercer l’ame d’espérances : le tranquille balancement des barques porte à la rêverie et à la paresse. On entend quelquefois un gondolier qui, placé sur le pont de Rialto, se met à chanter une stance du Tasse, tandis qu’un autre gondolier lui répond par