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Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/345

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sévère nature. Ils n’ont demandé autre chose au sage que de s’y conformer et de jouer son rôle à la place qui lui a été assignée au milieu de l’harmonie générale. La maladie, la mort, la pauvreté, les peines de lame, sont éternelles et tourmenteront l’humanité sous tous les régimes ; la forme, démocratique ou monarchique, n’y fait rien.

— Dîné chez M. Moreau[1] ; revenu avec Couture : il raisonne très bien, il est surprenant… Quel regard nous avons pour caractériser les défauts les uns des autres ! Tout ce qu’il m’a dit de chacun est très vrai et très fin, mais il ne tient pas compte des qualités ; surtout il ne voit et n’analyse, comme tous les autres, que des qualités d’exécution. Il me dit, et je le crois bien, qu’il se sent surtout propre à faire d’après nature. Il fait, dit-il, des études préparatoires, pour apprendre par cœur, en quelque sorte, le morceau qu’il veut peindre et s’y met ensuite avec chaleur : ce moyen est excellent à son point de vue. Je lui ai dit comment Géricault se servait du modèle, c’est-à-dire librement, et cependant faisant poser rigoureusement. Nous nous sommes récriés l’un et l’autre sur son immense talent !

Quelle force que celle qu’une grande nature tire d’elle-même ! Nouvel argument contre la sottise qu’il y a à y résister et à se modeler sur autrui.

  1. Collectionneur ; il fut propriétaire de la Barque de don Juan. (Voir Catalogue Robaut, no 707.) Mme Moreau a donné ce tableau au Musée du Louvre après la mort de son mari.