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Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/37

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XIX
EUGÈNE DELACROIX.

Sa vie fut tout intérieure, comme celle des « Intellectuels » ; les luttes qu’il eut à soutenir se livrèrent dans le vaste champ du cerveau. Pour le seconder, il eut deux adjuvants puissants : la solitude et le travail. La solitude d’abord : nous avons vu qu’il la constatait autour de lui, même dans le monde, disons : d’autant plus qu’il était dans le monde, au milieu de ses amis ou de ceux qui se prétendaient tels : c’est l’isolement forcé du grand esprit qui ne se voit pas d’égaux ; mais à côté de celui-ci, il en est une autre, l’isolement volontaire, celui de l’homme qui vit dans sa tour d’ivoire. Après l’amour de la solitude, et comme conséquence directe, l’amour du travail. Quand il parle de sa vie intellectuelle, c’est avec l’enthousiasme d’une âme possédée par de hautes idées : « Je me le suis dit et ne puis assez me le dire, pour mon repos et pour mon bonheur, — l’un et l’autre sont une même chose, — que je ne puis et ne dois vivre que par l’esprit. » — Cette pensée reparaît à chaque instant ; lorsqu’il souffre, c’est dans son art qu’il trouve l’oubli de ses souffrances ; lorsqu’il éprouve un déboire, c’est par la production de nouvelles œuvres qu’il se console.

Tout jeune, son génie le torture : il est une cause de tourment, en ce sens que les idées affluent trop nombreuses, que son esprit, malgré les principes de méthode dont il ne se départira jamais, bouillonne trop fortement, que les images picturales s’accumulent dans son cerveau et qu’il n’est pas maître de ses sujets. Mais l’énergie productrice prend vite le dessus ; il ne s’en tient jamais à la période de conception et de rêve, si pleine de délices, si féconde en illusions perfides. Un de nos écrivains qui le connut et s’entretint plusieurs fois avec lui nous a