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Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/45

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XXVII
EUGÈNE DELACROIX.

d’artiste, ce serait presque une banalité, car il suffit d’émettre l’idée pour en faire toucher du doigt l’exactitude. Quant à l’influence bienfaisante dont elle favorisa le développement particulier du maître dont nous parlons, la lecture attentive de son Journal le prouverait, si la connaissance de ses innombrables productions n’en demeurait à tout jamais la démonstration la plus évidente. Lui-même, il avait examiné cette question d’universalité et s’est expliqué à cet égard avec une singulière netteté. Dans une page de l’année 1854, il observe « combien les gens de métier sont de pauvres connaisseurs dans l’art qu’ils exercent, s’ils ne joignent à la pratique de cet art une supériorité d’esprit ou une finesse de sentiment que ne peut donner l’habitude de jouer d’un instrument et de se servir d’un pinceau » ; et il ajoute, toujours à propos des spécialistes : « Ils ne connaissent d’un art que l’ornière où ils se sont traînés, et les exemples que les écoles mettent en honneur. Jamais ils ne sont frappés des parties originales ; ils sont, au contraire, bien plus disposés à en médire ; en un mot, la partie intellectuelle leur manque complètement. » On ne pouvait mieux marquer la cause de l’insuffisance de tant d’artistes, de l’étroitesse de leurs vues, de ce qui fait qu’en somme ils ne sont, la plupart, comme on l’a écrit si justement, que « d’illustres ou obscurs rapins ». Lorsque Delacroix parle ainsi, il exprime une opinion qui lui est chère, qui correspond bien à ses convictions intimes, car elle cadre avec toute sa vie. Peu importe qu’à une époque postérieure, dans une de ces boutades fréquentes chez les intelligences d’élite, parce qu’elles résultent d’un don particulier d’envisager les choses sous leurs différents points de vue, peu importe