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Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/73

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LV
EUGÈNE DELACROIX.

tionnait d’être : discret dans ses allures, réservé dans ses rapports, subordonnant sa conduite à des principes de sage prudence que sa nature ne lui eût pas inspirés, mais dont l’expérience de la vie lui avait démontré la nécessité, et dans lesquels les envieux seuls ont pu voir un indice de sécheresse d’âme. Le penseur s’y montre avec la complexité de ses tendances, l’universalité de ses vues, son admirable aptitude à tout comprendre et à tout goûter de ce qui touche au domaine de l’esprit. L’artiste enfin, si grand qu’il nous soit déjà connu, en sort plus grand encore. En le suivant depuis l’origine de sa carrière jusqu’à sa mort, nous le voyons chérissant son art d’un amour fanatique, obéissant au seul mobile d’une destinée glorieuse, incapable de ces compromissions, fréquentes même chez les hommes de talent, et qui marquent leurs œuvres d’une tare souvent irrémédiable ! Sans doute il eut des faiblesses : les plus illustres n’en sont pas exempts ; mais elles n’étaient pas de nature à influer sur son génie et sur son œuvre : il ne fut pas insensible aux honneurs, et, quand il les ambitionna, dut se soumettre à des démarches quelque peu gênantes vis-à-vis de peintres dont il ne pouvait apprécier le talent. Qu’importe, après tout ? Ce sont là bien petites choses quand il s’agit d’un si éminent esprit. Il demeurera l’un de nos plus glorieux artistes, à n’en pas douter le plus grand peintre de ce siècle, disons mieux, un des plus grands peintres qui aient jamais paru, un de ces anneaux imbrisables qui constituent la chaîne immortelle de l’Art !


Paul FLAT.