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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/143

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Vendredi 29 octobre. — Vu M. Cazenave[1] le matin. — Travaillé à mes retouches du plafond tous ces jours derniers, avec des chances diverses d’ennui et de joie : ce qu’il y a à faire est gigantesque ; mais si je ne suis pas malade, je m’en tirerai.

Sur la différence du génie français et du génie italien dans les arts : le premier marche l’égal du second pour l’élégance et le style, au temps de la Renaissance. Comment se fait-il que ce détestable style, mou, carrachesque, ait prévalu ? Alors, malheureusement, la peinture n’était pas née. Il ne reste de cette époque que la sculpture de Jean Goujon. Il faut, au reste, qu’il y ait dans le génie français quelque penchant plus prononcé pour la sculpture ; à presque toutes les époques, il y a eu de grands sculpteurs, et cet art, si on excepte Poussin et Lesueur, a été en avant de l’autre. Quand ces deux grands peintres ont paru, il n’y avait plus de traces des grandes écoles d’Italie : je parle de celles où la naïveté s’unissait au plus grand savoir. Les grandes écoles venues soixante ou cent ans après Raphaël ne sont que des académies où l’on enseignait des recettes. Voilà les modèles que Lesueur et Poussin ont vus prévaloir de leur temps : la mode, l’usage les ont entraînés, malgré cette admiration sentie de l’antique, qui caractérise surtout les Poussin, les Legros[2] et tous les auteurs de la galerie d’Apollon.

  1. Le docteur Cazenave, qui soignait alors Delacroix.
  2. Pierre Legros, sculpteur, né à Paris (1656-1719). Il a passé