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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/182

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sonnage, que l’un des plus grands inconvénients du caractère français, celui qui a plus contribué peut-être que quoi que ce soit aux catastrophes et déconfitures dont notre histoire abonde, c’est l’absence, chez toutes les têtes, du sentiment du devoir. Il n’y a pas un homme ici qui soit exact à un rendez-vous, qui se regarde comme lié absolument par une promesse ; de là, cette élasticité de la conscience dans une foule de cas. L’imagination place l’obligation dans ce qui nous plaît ou nous porte intérêt. Chez la race anglaise, au contraire, qui n’a pas au même degré cette force d’impulsion qui entraîne à tout moment, la nécessité du devoir est sentie par tout le monde. Nelson, à Trafalgar, au lieu de parler à ses matelots de la gloire et de la postérité, leur dit simplement dans sa proclamation : « L’Angleterre compte que chaque homme fera son devoir. »

En sortant de chez Boilay, ce soir à minuit et demi, je cours jusqu’aux Italiens pour trouver une glace, car tous les cafés étaient fermés. J’en trouve au café du Passage de l’Opéra, sur le boulevard. J’y vois M. Chevandier[1], qui m’accompagne chez moi ; il me raconte, entre autres particularités sur Decamps, d’abord son impossibilité de travailler d’après le modèle dans ses tableaux ; en second lieu, ce qui me paraît la conséquence de cette disposition, sa timi-

  1. Paul Chevandier de Valdrôme, peintre paysagiste, élève de Marilhat et de Cabat, auteur d’ouvrages estimés, qui lui valurent plusieurs médailles aux Salons.