Aller au contenu

Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

même ses ressources contre le besoin, mais celle qui l’élève en même temps à ses propres yeux et emploie d’une manière presque sacrée les courts moments qui lui sont accordés… faiseurs de feuilletons, écrivassiers, faiseurs de projets ! Au lieu de transformer le genre humain en un vil troupeau, laissez-lui son véritable héritage, l’attachement, le dévouement au sol ! Que le jour où des invasions nouvelles de barbares menacent ce qu’ils appellent encore leur patrie, ils se lèvent avec joie pour la défendre. Ils ne se battront pas pour défendre la propriété des machines, pas plus que ces pauvres Russes, ces pauvres serfs enrégimentés ne travaillaient pour eux, quand ils venaient ici venger les querelles de leurs maîtres et de leur empereur… Hélas ! les pauvres paysans, les pauvres villageois ! Vos prédications hypocrites n’ont déjà que trop porté leurs fruits ! Si votre machine ne fonctionne pas sur le terrain, elle fonctionne déjà dans leur imagination abusée. Leurs idées de partage général, de loisir et même de plaisir continuel, sont réalisées dans ces indignes projets. Ils quittent déjà à qui mieux mieux, et sur le plus faible espoir, le travail des champs ; ils se précipitent dans les villes, pour n’y trouver que des déceptions ; ils achèvent d’y pervertir les sentiments de dignité que donne l’amour du travail, et plus vos machines les nourriront, plus ils se dégraderont !… Quel noble spectacle dans ce meilleur des siècles, que ce bétail humain engraissé par les philosophes !