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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/270

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

que donnent, dans le spectacle des choses, la beauté, la proportion, le contraste, l’harmonie de la couleur, et tout ce que l’œil considère avec tant de plaisir dans le monde extérieur, et qui est un besoin de notre nature.

Beaucoup de gens trouveront que c’est précisément dans cette simplification du moyen d’expression que consiste la supériorité de la littérature. Ces gens-là n’ont jamais considéré avec plaisir un bras, une main, un torse de l’antique ou du Puget[1] ; ils aiment la sculpture encore moins que la peinture, et ils se trompent étrangement s’ils pensent que quand ils ont écrit : un pied ou une main, ils ont donné à mon esprit la même émotion que celle que j’éprouve quand je vois un beau pied ou une belle main… Les arts ne sont point de l’algèbre où l’abréviation des figures concourt au succès du problème ; le succès dans les arts n’est point d’abréger, mais d’amplifier, s’il se peut, de prolonger la sensation, et par tous les moyens… Qu’est-ce que le théâtre ? Un des témoignages les plus certains de ce besoin de l’homme d’éprouver à la fois le plus d’émotions possible ! Il réunit tous les arts pour sentir davantage : la pantomime, le costume, la beauté de l’acteur, doublent l’effet de l’ouvrage parlé ou chanté. La représentation du lieu dans lequel se passe l’ac-

  1. Voir l’étude qu’il consacra à ce maître. Elle fut publiée dans le Plutarque français et réunie aux autres fragments critiques dans le volume de M. Piron, déjà cité.