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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/328

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

14 mars. — Dîné chez Villot, avec Nadaud[1], Arago, Bixio.

15 mars. — Dîné chez Hippolyte Rodrigues[2] avec Halévy, Boilay, Mirès[3] ; ce dernier, très original, très sensé, très spirituel ; il est bien la preuve que c’est l’esprit qui fait l’homme. Il me disait, sur ce que le peuple, à présent, croit que le bien-être lui est dû, indépendamment de l’esprit et de l’industrie employés à se le procurer, en un mot sur cette rage d’égalité de bonheur qui possède tous ces gens-là et que je déplorais, que c’était un mobile qui venait à son tour et qui avait son temps à faire, comme tous ceux qui ont soulevé les hommes plus ou moins longtemps, les guerres de religion par exemple.

Il disait que, quelque judiciaire qu’on apporte dans les affaires, on avait besoin d’un associé, d’un autre vous-même qui vous éclairât et vous fît quelquefois toucher du doigt la fausseté d’un calcul sur lequel on fondait de l’espérance.

Chez la princesse ensuite, où je ne suis arrivé qu’à onze heures passées. Elle confessait sa mobilité et la

  1. Gustave Nadaud (1820-1893), compositeur et chansonnier, qui avait déjà, en 1849 et 1852, publié deux recueils de ses chansons.
  2. Hippolyte Rodrigues, financier et littérateur, occupait depuis 1840 une charge d’agent de change qu’il abandonna en 1875 pour se consacrer exclusivement aux études de critique et d’histoire religieuse. Il était le beau-père d’Halévy.
  3. Mirés, célèbre financier de l’époque, était alors à la tête d’une série de vastes opérations financières et jouissait dans le monde d’une influence considérable.