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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/360

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

il se rend compte du bonheur qu’il a dû éprouver ; mais dans l’instant de ce prétendu bonheur, se sentait-il vraiment heureux ? Il était comme un homme qui possède une parcelle de terrain dans laquelle est enfoui un trésor dont il n’a pas connaissance. Appellerez-vous riche un tel homme ? pas plus que je n’appelle heureux celui qui lest sans s’en douter, ou sans savoir à quel point il l’est. Le vulgaire trouve heureux le monarque, parce qu’il dispose de tout, de tout ce qui lui manque surtout ; il ne voit pas qu’il est assiégé par des ennuis attachés à sa condition élevée, comme il l’est lui-même dans sa médiocrité. Ces ennuis obscurcissent tous les plaisirs, pour lui comme pour le monarque ; et combien n’en est-il pas qu’il goûte, sans presque le savoir, qui sont inestimables et qui sont interdits, inconnus même des grands qu’il envie ! Ces avantages sont si nombreux, ils sont si certains qu’ils suffisent amplement, je ne dirai pas à consoler, mais à rendre charmée de son lot, cette partie de l’humanité dont la médiocrité est le partage…

Les pures jouissances que je trouve ici, sans parler du peu de goût que j’ai pour les plaisirs des grands, me dispensent d’allonger cette note.

29 avril. — Repris les Baigneuses.

Je comprends mieux, depuis que je suis ici, quoique la végétation soit peu avancée, le principe des arbres. Il faut les modeler dans un reflet coloré comme la chair : le même principe paraît ici encore plus pra-