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Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/446

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

1er septembre. — Le matin et hier, levé de bonne heure, et été sur le galet avec Jenny.

Travaillé dans la journée. Dessiné de ma fenêtre, avant dîner, des bateaux[1].

Le soir, j’ai décliné Chenavard. J’avais l’esprit fatigué de sa diatribe d’hier soir. Il pratique naïvement ou sciemment l’énervation des esprits comme un chirurgien pratique la taille et la saignée… Ce qui est beau est beau, n’importe dans quel temps, n’importe pour qui ; puisque nous sommes deux à admirer Charlet[2] et Géricault, cela prouve d’abord qu’ils sont admirables, ensuite qu’ils peuvent trouver des admirateurs. Je mourrai en admirant ce qui mérite de l’être, et si je suis le dernier de mon espèce, je me dirai qu’après la nuit qui me suivra sur l’hémisphère que j’habite, le jour se refera encore quelque part, et que l’homme ayant toujours un cœur et un esprit, il jouira encore et toujours par ces deux côtés.

Le soir, revenu derrière le château ; j’ai pris un sentier qui monte à gauche ; j’ai trouvé une vue magnifique de la ville et du château. Il faisait obscur. Je me suis promis de revenir et de faire ici quelques dessins.

  1. Voir Catalogue Robaut, nos 1270-1271.
  2. Delacroix publia une étude sur Charlet qui parut à la Revue des Deux Mondes (1er juillet 1862). Elle débute ainsi : « Je voudrais à ma faible voix plus de force et d’autorité pour entretenir dignement le public français de quelques admirables contemporains qui font sa gloire, sans qu’il en soit suffisamment informé. Charlet est à la tête de ces hommes rares qui ne me paraissent pas avoir été mis à la place que la postérité leur réserve sans doute. »