Aller au contenu

Page:Delacroix - Journal, t. 2, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
477
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tateur est ému, parce qu’il voit la nature par souvenir, en même temps qu’il voit votre tableau. Il faut que votre tableau soit déjà orné, idéalisé, pour que l’idéal, que le souvenir fourre, bon gré, malgré, dans la mémoire que nous conservons de toutes choses, ne vous trouve pas inférieur à ce qu’il croit être la représentation de la nature.

— Ce jour, fameux chapon à l’ail qui eût fait reculer une compagnie de grenadiers anglais.

Le soir, promené avec Jenny. La vue des étoiles brillant à travers les arbres m’a donné l’idée de faire un tableau où on verrait cet effet si poétique, mais difficile en peinture à cause de l’obscurité du tout :

Fuite en Égypte. Saint Joseph conduisant l’âne et éclairant un petit gué avec une lanterne ; cette faible lumière suffirait pour le contraste.

Ou bien les Bergers allant adorer le Christ dans l’étable, qu’on verrait dans le lointain tout ouverte.

Ou la Caravane qui amène les Rois mages.

— Conversation avec J. L…, en réponse à l’assertion de Chenavard, qui trouve que les talents valent moins dans un temps qui ne vaut guère. Ce que j’aurais été du temps de Raphaël, je le suis aujourd’hui. Ce qu’est Chenavard aujourd’hui, c’est-à-dire ébloui par le gigantesque de Michel-Ange, il l’eût été, à coup sûr, de son temps. Rubens est tout aussi Rubens pour être venu cent ans plus tard que les immortels d’Italie ; si quelqu’un est Rubens aujourd’hui ou tout autre, il ne l’est que davantage. Il orne