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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/147

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LE PAIN BLANC

— Vous attendez Andrée, n’est-ce pas ?…

— Oui… murmura la petite Arnaud.

Elle gênait peut-être, intruse désœuvrée.

— Parce que moi, poursuivit la voix flûtée, il faut que j’aille à la cuisine préparer le dîner de la maisonnée. Je vais vous laisser. Mais vous avez le piano dans le salon. On n’a besoin de personne avec ça.

Ce fut d’un pas hésitant qu’elle se dirigea vers ce piano. Ne valait-il pas mieux s’en aller ? Mais un tel bien-être la détendait, chez ces gens qu’elle dérangeait, qu’il lui fut impossible de ne pas rester.

Elle chercha dans la musique, et se mit à déchiffrer. Puis, sur ce piano qu’elle ne connaissait pas, il lui prit fantaisie de jouer par cœur, au hasard de sa mémoire.

L’Intermezzo du « Carnaval de Venise » fit accourir, affublée d’un tablier bleu de servante, la petite dame enthousiaste et drôle.

— Bravo !… Vous avez du sentiment, à la bonne heure !… Et de bons doigts aussi, ce qui ne gâte rien. Andrée me l’avait dit. C’est bien, ça !… C’est bien, mademoiselle ! Jouez !… Jouez tout ce qui vous passera par la tête. Je vous écoute, du fond de ma cuisine, vous savez ! Je fais même le contre-chant sur les queues de mes casseroles.

Elle était déjà repartie.

« Je vais jouer pour elle !… » se dit Élysée.

Le jour baissait. Il n’y avait pas l’électricité. Dans l’ombre qui la gagnait, l’orpheline sentait sur elle descendre l’inspiration. La musique, pour ceux qui sont tristes, est un moyen détourné de pleurer.

Comme elle achevait les grands, riches et poignants accords de la Pavane pour une Infante défunte, elle se retourna, sentant une présence derrière elle. Mais au lieu de la petite maman en tablier bleu de servante, elle vit, dans le clair-obscur, un grand jeune homme qui, debout, immobile, l’écoutait en retenant son souffle.

Interdite, elle ne savait que dire. Un geste un peu gauche la saluait. Elle répondit en silence. Elle ne distinguait qu’une sil-