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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/159

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LE PAIN BLANC

vous serez encore une pensionnaire ?… Vous ne voulez rien répondre ?… Ça m’est égal. Écoutez-moi bien ! Il faut savoir profiter des bons mouvements, surtout quand ils viennent de rosses comme moi. Vous ne croyez pas que ce serait gentil, que ce serait gai de vous venger d’un seul coup, de prendre une revanche, mais ce qui s’appelle une belle revanche ?… Eh bien ! Je vous épouse, là ! Vous ne pouvez pas dire que c’est pour votre argent ! Et nous n’invitons pas l’épervier à la noce. Vous comprenez ?… Vous devenez la comtesse de Villevieille au nez des petites amies qui croyaient tant s’amuser, au nez de la belle Octavie qui croyait vous tenir dans ses serres. Vous reprenez la vie à grandes guides, les bals, les sports, les autos, les grands couturiers, toute la lyre ! Je ne vous dis pas que je serai tout le temps drôle. Je suis chic en ce moment, ça ne durera pas, c’est probable. Mais, du moins, vous cesserez d’être dans le marasme, d’être piétinée par tout le monde comme une pauvre petite bête à bon Dieu… Il est peut-être temps que vous mangiez du vrai pain blanc. Et puis, vous savez maintenant ce que c’est que le monde. L’expérience est faite, hein ?… Pas d’illusions, pas de sottises. Alors, voilà. Et si ça vous dit d’avoir un gosse, eh bien !… on l’aura, quoi ! Ça vous fera toujours quelqu’un à aimer sur la terre !

Elle était née affectueuse et bonne.

— Julien… murmura-t-elle.

Et puis, elle se mit à pleurer comme une petite fille, parce que tout ce qu’il venait de dire avait sa grandeur, et qu’elle le devinait, pour un moment, sincère, généreux, loyal.

— Allons !… dit-il en lui prenant les mains.

Et, dans son sourire, il y eut de la mélancolie et de la joie.

— Le plus comique, c’est que tout ça va finir par un mariage !

Mais elle s’était levée. Au fond des ombres du soir, déjà piquées par les premières lumières, à travers ses larmes, elle revoyait, visionnaire, une demeure aérienne, suspendue entre ciel et terre, parfumée à l’encens, visitée par les mystiques figures des vitraux tout proches ; elle revoyait, assis au banc des orgues, l’organiste pauvre, le musicien, le poète, l’archange qui ressemblait aux gravures de son enfance.

Elle se tourna vers Julien toujours assis, le regarda, secoua