Aller au contenu

Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
LE PAIN BLANC

naud était dans une ambulance du front. « Lâché dans la Croix Rouge, tu peux t’imaginer ce qui se passe avec les dévergondées qui se disent infirmières ! »

Comme une petite femme, la fillette avait désormais deux hommes dans la mêlée. Le sentiment de son importance s’ajoutait étroitement à des inquiétudes folles qui la réveillaient la nuit, dans la chambre à trois lits où elle couchait seule, maintenant que ses deux compagnes, avec tant d’autres enfants, étaient retournées définitivement dans leur famille.

Un peu d’anémie, quelques malaises la retardaient dans son élan studieux. La puberté tourmentait son corps puéril. Elle changeait. L’harmonie de sa première forme se défaisait, en attendant qu’une autre forme sortît de la chrysalide en travail. On appelle cela l’âge ingrat, et n’est-ce pas, en vérité, le triste retour d’âge de l’enfance ? Gênée par les nouveautés de son être physique et comme honteuse de n’être plus tout à fait une enfant, Élysée avait alternativement, sans cause apparente, des crises de larmes et des rires godiches, giboulées humaines. Et ce fut dans la même quinzaine qu’elle changea de cours et recourba sa natte dans le cou.

— Votre mère est au petit salon !…

C’était en semaine, pendant la séance de dessin, Élysée copiant un plâtre. Mme Arnaud n’avait prévenu personne de sa visite.

On n’ouvrait plus le parloir à cause des économies de charbon. La fillette trouva sa mère debout dans un salon, arpentant, agitée.

Sans même l’embrasser :

— Ah ! si tu savais !