Aller au contenu

Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92

il avait bu. Mais, sans boire, elle n’était pas plus commode que lui, et d’aplomb pour lui tenir tête, certes !

À travers les nuages de la boisson, il comprit tout de même que cette gamine avait l’audace de l’attaquer.

— A-t-on jamais vu ça ?… gronda-t-il.

Et, faisant un pas :

— Ote-toi d’là, t’entends !

La mère Bucaille, effrayée, s’interposa.

— Laisse-le !… Est pas la peine de le chagriner ! Y f’rait un malheur !… Va t’coucher, tu f’ras mieux, que j’te dis !

Durement, la petite écarta sa mère.

Quitte-moi tranquille, toi ! T’as donc pas d’sang dans les veines pour supporter cha ! Est point souffrable !… Mais moi, est point tout à fait la même mode.

Avec un juron formidable, le marin s’avança sur sa fille, le poing haut. Blème de rage, elle n’attendit pas le coup. Fonçant sur lui tête baissée, elle le bouscula si vivement, si nerveusement qu’il trébucha, renversant une chaise. La grêlée fit un grand cri. Et, comme le marin se remettait sur ses jambes, on vit surgir le petit Delphin ajustant sa culotte tout en accourant, tandis que les enfants appelaient du fond de leur chambre.

— Bon ! en v’là un autre, à c’t’heure !… ricana Ludivine.

Comme elle ne craignait plus de réveiller personne, elle reprit sa voix de tête :

— Veux-tu r’tourner à ton lit, toi, Delphin. Ça te r’garde-ty, tout cha !

Commander, injurier, lutter !… Au fond, elle ne respirait vraiment bien qu’en pleine scène.

Delphin, reculé, ne sachant ce qu’il devait faire entre le père ivre et dangereux et la fille forcenée, tremblait de tous ses membres, angoisse et froid mélangés.

Bucaille, perdu dans une longue méditation d’ivrogne, fixait ses