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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/113

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le rivage. La petite cité, dans son creux, hérissait ses silhouettes d’un autre temps. Les jetées et le phare diminuaient. Une cloche sonnant l’Angélus semblait jeter des bénédictions vers les voiles qui papillonnaient dans toute la baie.

Les yeux de Ludivine s’amusaient de tout ce qu’elle voyait. Cette promenade en mer, outre l’intention qui l’avait motivée, enchantait son instinct obscur de petite viking. Elle leva la tête pour regarder marcher dans les nuages le mât et les voiles, qui semblent de si immenses choses au-dessus de soi, et qu’on croit voir trouer le ciel, écarter les nuées.

La vie de la barque, quand on est dedans, apparaît à la fois énergique et molle. Ses mouvements sont rapides mais ronds, comme les vagues elles-mêmes. Et son ombre à quatre voiles navigue à côté d’elle, ondulée par la mer mouvante.

Les pieds dans l’eau, car l’intérieur d’une barque pontée est toujours plus ou moins trempé, les moulières, se plaignant « que leurs jupons étaient néyés », continuaient leur bavardage. L’attitude de la petite Bucaille, qui leur déplaisait, les faisait chuchoter par instants. Et, à d’autres, c’étaient des propos à la fois grossiers et spirituels, échangés avec les deux hommes bien plus réservés qu’elles.

Le matelot, à la barre, changeait d’un seul revers de main la direction des voiles, lesquelles sont commandées par le gouvernail, exactement comme le cheval l’est par les rênes. La barque galopait, souples foulées. On avait l’impression, cependant, de remuer sans avancer. Et les bouées du chenal, au moment où l’étrave arrivait sur elles, semblaient au contraire accourir, puis dépasser l’arrière du bateau resté sur place.

Pour distraire les femmes, les deux pêcheurs nommèrent au passage :

— V’là la Haut de 40 !… V’là la bouée du Rocher !… V’là la Grante herbage !.… V’là la Maison rouge !…

— J’vois l’Ratier !… s’écrièrent des voix.