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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/140

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pêcher d’aller de temps en temps à la fenêtre pour surveiller la couleur du ciel. Depuis un moment le temps est devenu si sombre que, bien qu’il ne soit pas trois heures, on n’y voit déjà plus dans la maison. Le vent qui, depuis ce matin, souffle, pluvieux, sur toute la côte, vient d’augmenter tout à coup. Les volets claquent, les cheminées tonnent.

— Est un grain, bien sûr !… dit Ludivine, parlant toute seule.

Au bout d’un moment, elle n’y tient plus. Un fichu sur la tête, la voilà dans l’impasse Sérène.

— Vos gas sont-y en mer ?… demande une commère voisine en passant.

— Est justement !… répond la petite. Je sors, tout à l’heure, pour voir le vent. Et y m’semble que l’cul du temps est bien noir !

Après quelques pas dans la bourrasque, elle rentre.

Qu’est-ce que c’est que cette anxiété qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici ? À mesure que le ciel et la mer s’agitent, son cœur aussi s’agite. Au moment d’allumer la lampe, puisqu’on n’y voit plus du tout dans cette cuisine :

— Tant pis ! J’y vas !…

Comme les femmes des marins anciens, racontées par Delphin…

Elle sera, dans un moment, au bout de la jetée, seule, sans doute, par ce temps qui vide les rues. Elle serre contre ses joues son fichu noir, laine insuffisante. Elle a froid, et l’angoisse l’a prise.

Au bout de la jetée solitaire, la mer montante déferle comme autour de l’étrave d’un navire. Les nuages courent en biais, les vagues de même. L’écume blanche et le large noir barrent durement le crépuscule fauve, aperçu par instants entre les sombres nuées précipitées les unes sur les autres. Le bruit des cailloux qui raclent à chaque recul des lames se distingue à travers la clameur des éléments. La mer, ce soir, grince des dents et bave de colère.

Parmi cette furie, il y a des barques, et, dans les barques, il y a des hommes. Ce n’est pas à son père que pense Ludivine.