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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/160

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— Vous ne croyez pas que… qu’on pourrait s’arranger ?…

La fillette sentit que celui-là aussi elle le possédait, que celui-là aussi c’était une proie. Elle ne s’en étonna pas. Sa puissance était ramassée en elle, formidable, pleine de sortilèges qui n’attendaient que des occasions de se manifester. Aventureuse de naissance, elle eut un tout petit battement de cœur en constatant sa conquête, satisfaction du pirate qui vient de faire une prise.

Les yeux transparents qu’elle tourna vers cet homme furent magnifiques de cruauté tranquille. Un léger déhanchement dans sa démarche, qui était naturellement provocante, accentua tout ce qu’elle mit dans ce regard. Sans rien calculer, poussée par le simple instinct, ainsi voulait-elle à la fois achever de l’affoler et le désespérer définitivement.

— J’crois bien qu’vous voulez rire ?… scanda-t-elle. Mamzelle Bucaille n’est qu’une ouvrière, mais elle ne mange point d’ces dragées-là !

Déjà pâle, il devint livide. Ses moustaches rousses tremblèrent :

— Écoutez !… Écoutez !… balbutia-t-il.

Mais, arrêtée net comme la première fois, elle l’enveloppa des pieds à la tête d’un tel coup d’œil qu’il entendit d’avance la superbe bordée d’injures, scandale public, qu’elle allait, en pleine rue, lui jeter en pleine figure.

Prudent et rapide, il s’esquiva sans tourner la tête.


✽ ✽

Les enfants battaient des mains. Delphin venait d’achever la pose des deux mâts sur son crevettier minuscule. La petite chose, parachevée et peinte, avec son étrave blanche sur fond noir, n’attendait plus, pour être complète, que de recevoir ses quatre voiles.

Avec ce goût inné des marins, qui n’est dû qu’au simple esprit d’observation, le mousse avait choisi, pour cette voilure, des petits