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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/164

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avec quelle ardeur elle exprimait sa défiance et son antipathie vis-à-vis du néfaste cafetier. Jamais il ne l’avait sentie, plus qu’en cette minute, sa camarade, son alliée, sa fiancée. Il avait envie de la prendre par la main pour se dresser avec elle devant les parents criards.

« Bon !… voilà que ça recommence !… » durent penser les voisins, déshabitués peu à peu du hurlement éternel de cette maison. Tristes, Maurice et Armand attendaient toujours. Maurice, fatigué, souffreteux, cherchait à dormir sur la table.

Quand le bruit fut à son comble :

— L’écoute donc point ! finit par dire la femme Bucaille, outrée. Vi-t-en plutôt avec moi. J’vas te donner ta belle vareuse et te rapproprier un peu !

Un quart d’heure plus tard, tout flambant, la figure rouge d’avoir été frottée au savon, Bucaille, accompagné jusqu’à la porte par sa femme, sortit enfin, se rendant à ce dîner qui déchaînait tant d’orages, et laissant derrière lui se continuer, interminables, les vociférations de la mère et de la fille.

Il se passa deux jours. Puis, triomphant, un soir, le pêcheur vint annoncer :

— Mon bateau va pouvoir aller au bassin de radoub. Les fournisseurs seront payés demain.

Et Delphin, qui vivait comme un corps sans âme depuis ces deux jours, sortit brusquement pour ne rien entendre de plus, tandis que Ludivine, les mains aux côtes, éclatait d’un rire absolument démoniaque.


✽ ✽

Sans travail pour une bonne pièce de temps, puisque sa barque était aux mains des ouvriers, Bucaille ne quitta guère le Grand Café Maritime, où, sans rien payer, il buvait tant qu’il voulait.