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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/180

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Une seconde, il s’arrêta. Puis, humblement sublime :

— Moi… eh ! ben !… Faudra bien que j’l’oublie aussi, moi, voilà tout !

Le mensonge qu’il venait de faire était trop fort. Il ferma les yeux, à bout de courage.

Un petit rire de Ludivine le poignarda.

— T’as vite fait d’en prendre la résignation !… jeta-t-elle, Et moi je s’rais bien bête de rester derrière ! Tiens !… Est toi qui m’auras décidée ! Maman, tu pourras dire ce soir au Lauderin qu’c’est oui !

Et la clameur qui suivit ces mots fut d’intonations si diverses qu’on ne sut jamais si c’était la joie des parents ou la douleur du mousse qui criait le plus fort.


✽ ✽

Ils avaient déjeuné sans Delphin, sorti pour prévenir que son travail cessait immédiatement sur le paquebot anglais.

Ludivine, les mâchoires crispées, laissait parler sa famille ivre de joie. Le chagrin que lui causait le départ de Delphin était intolérable. Elle sentait que, d’un seul coup, trois années de tendresse s’en allaient au néant. Un tournant brusque de la vie la jetait dans l’inconnu. Mariée ! Et mariée avec ce riche, avec cet homme qui n’était pas de son monde à elle, antipathique étranger ! « Est pour les miens… Est pour Maurice !… » se répétait-elle.

Mais, plus grave que toutes ces angoisses était la plaie faite à son cœur par les paroles de Delphin. Quelque chose l’avertissait bien que le mousse avait dû parler ainsi par esprit de sacrifice, ne voulant pas remercier ses bienfaiteurs par du malheur. Mais, née pour la lutte, elle ne pouvait comprendre qu’il se fût rendu dès la première attaque. Il ne tenait donc pas à son bien, pour l’abandonner de la sorte sans même essayer de le défendre ? « Gambe de laine !… » pensait-elle avec mépris. Et blessé comme sa tendresse était son