Aller au contenu

Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183

ment corsé que celui dont elle avait si longtemps torturé le petit Le Herpe. Aucune tendresse cachée ne la gênait, maintenant, aucune candeur désarmante ne l’arrêtait dans son instinct débridé. C’était sa revanche contre le destin. C’était la seule compensation qu’elle eût, au milieu de tant de choses qui lui déplaisaient.

Enragée contre les événements qui l’avaient arrachée à sa vie ennoblie, à cette santé du cœur lentement conquise pendant les trois ans que l’orphelin avait passés sous sa protection, elle se sentait parvenue au sommet de sa perversité native, de sa malice innée. Son goût de la guerre se satisfaisait dans cette lutte qu’elle soutenait pour écraser définitivement la nouvelle proie venue se jeter dans ses pattes. Et, sans rien savoir de la félonie projetée par Lauderin et les siens, elle les déjouait, jour par jour, avec une sûreté qui semblait magnifiquement calculée.

Forcés de se plier aux caprices que dictait la redoutable fiancée, le frère et la belle-sœur de Lauderin n’osèrent bientôt plus une objection. Ils le sentaient perdu, dépouillé de toute volonté, livré corps et âme à l’audacieuse fille marine qui ne cédait rien à son désir effréné.

Il ne tarda pas à regretter d’avoir reculé ce mariage, d’abord envisagé comme une frime, et qu’il savait maintenant devoir seul assouvir sa soif éperdue.

Dépassés, vaincus, la Parisienne et son mari prirent le parti de faire comme les autres, et s’ingénièrent pour amadouer le petit tyran. Ce fut Mme Jules Lauderin qui commanda les beaux effets offerts à Ludivine ; ce fut elle qui fit venir de Paris les chapeaux, les bas et le reste. La lingerie suivit, puis de nouvelles robes.

— Queu belle marchandise ! murmurait la mère Bucaille, effarée.

Elle n’allait plus laver dans son hôtel, sur l’ordre de son futur gendre. Le père Bucaille, malgré sa barque remise à neuf, ne pêchait qu’irrégulièrement. Son ivrognerie, au milieu de tant d’opulence, ne faisait que croître. Le petit Armand, devenu son mousse, bien