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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/199

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Delphin, quelles paroles elle lui dirait pour raviver en lui tout ce que l’absence effaçait lentement. Cruelle et désespérée, il lui fallait la souffrance inutile de son orphelin. Elle était née pour exercer des ravages. La vie ne savait qu’inventer pour la pousser dans sa voie mauvaise. De nouveau démoralisée, de par ses fiançailles perverses, elle se ferait bien voir à elle-même que sa première âme n’était pas morte. Et quand elle aurait complètement repris son petit matelot candide, elle le laisserait, dans son Havre, penser à elle éperdument, satisfaite de sentir palpiter au loin ce pauvre cœur d’enfant qui avait cru si imprudemment pouvoir battre désormais sans elle.


✽ ✽

Cette journée fut douce pour Lauderin, tout étonné de l’aubaine.

Ludivine, chaque fois qu’elle allait le rabrouer, n’avait qu’à penser à sa dépêche pour que la bonne humeur revint dans ses yeux.

Ils allèrent voir les charpentiers travailler à leur barque.

Les grosses côtes de bois, qui seront le thorax du bateau, commençaient à se dessiner. Surélevée et penchée de biais, la chose venait lentement au monde parmi le désordre de sa construction, et selon des données qui n’ont pas changé depuis des siècles.

En face de son futur élément, la barque, l’étambot tourné vers l’eau, comme un enfant qui naîtra par les pieds, attendait d’être finie pour glisser sur les rails engageants qui lui feraient prendre la mer.

Étrange au-delà pour les arbres dans le bois desquels furent taillées et courbées les planches marines ! Avoir eu des racines dans la terre immobile et profonde pour ne plus vivre, un jour, que de la vie remuante des vagues, quelle surprenante transformation ! Un bateau n’est pas une œuvre humaine tout à fait semblable aux autres. C’est pour cela sans doute qu’on le baptise comme un nouveau-né.

— Elle sera belle, notre barque !… disait Lauderin.