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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/210

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L’arrêt de la voiture, le cocher qui parlait, les réveillèrent. Comme lorsqu’on dort, ils étaient tous deux dans l’inconnu. La main dans la main puisqu’ils ne pouvaient se parler, emportés dans un rêve, ils avaient fermé les yeux. Assez vite viendraient les explications, ces explications qui n’ajoutent jamais rien au bonheur, et qui le défont si souvent.

Maintenant, errants dans Sainte-Adresse, ils s’avançaient côte à côte, sans savoir où ils se trouvaient, le petit Maurice, à cinquante pas, galopant devant eux ; maintenant les paroles revenaient. Le rêve était passé.

— Tu m’aimes… chuchotait Delphin. J’le vois bien, à c’t’heure. Pourquoi ?… Tu m’aimais bien, avant, mais tu n’m’aimais point.

Elle ne pouvait lui dire que ce n’était pas tout à fait lui qu’elle aimait. Il ignorait l’énigme de sa vie.

— Y a si longtemps que je n’tai vu !… balbutia-t-elle. Est l’absence qu’a tout fait.

Frémissante :

— Et puis j’déteste tant l’autre !

Leur joie, à ces mots, tomba d’un seul coup.

— Tu vas t’marier… fit-il sourdement. Est affreux !

D’un coup de menton, elle désigna l’enfant qui trottait devant eux.

— Est à cause de lui, tu l’sais bien. Et à cause d’eux autres, là-bas.

Il hochait la tête pour faire voir qu’il comprenait. Mais, tout à coup, lui serrant le bras à lui faire mal :

— Quand j’y pense, les dents m’en craquent, et j’sens l’jaune de la mort qui m’monte ! On aurait été si heureux ensemble, Ludivine !

Elle retrouva pour un instant son petit rire. Immorale et véhémente :

— On s’ra heureux tout d’même, va !