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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/234

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Elle craignait sa belle-sœur future, qui n’allait pas manquer de la surveiller de près, sur l’instigation de Lauderin. De plus en plus, son projet de revoir Delphin devenait hasardeux, sinon irréalisable.

Pour ne rien laisser paraître de ces anxiétés, elle prit sur elle, affectant quelque amabilité, d’accompagner son fiancé jusqu’à la gare, afin d’accueillir avec lui ses invités et parents.

Plein de ravissement et de surprise, il ne savait comment remercier de ses bonnes dispositions l'irascible petite. Mais après les effusions de l’arrivée dans la poussiéreuse petite salle d’attente, quand il se retrouva, dans la voiture, en face de sa famille, se sentant soutenu par la présence de ses pareils, il reprit vite son arrogance et ses familiarités, soucieux de leur faire voir le progrès accompli dans le cœur difficile de sa promise.

Ludivine, qui pensait à d’autres choses, le laissa faire, donnant l’impression de s’être enfin adoucie, civilisée, au contact du monsieur qui daignait épouser cette fille de basse classe. La voyant silencieuse, M. et Mme Jules Lauderin la crurent enfin intimidée par le beau monde dans lequel elle allait pénétrer. Ils furent flattés dans leur orgueil. Redressés, ils eurent un ton supérieur pour la féliciter sur le bon air qu’elle avait pris, et sur cette toilette et ce chapeau (venus tout droit de chez eux), qui lui allaient si bien.

Serrant les lèvres sur des insolences, Ludivine, qui ne perdait rien de leur manège, esquissait des petits sourires de politesse.

L’air de famille qu’elle observait entre Jules Lauderin et son frère, les couleurs voyantes que portait Mme Jules Lauderin, brune insignifiante et fardée, le chypre dont elle était parfumée, son parler prétentieux déchaînaient mille ironies dans l’esprit de la petite Honfleuraise, douée, comme tous ses compatriotes, du sens aigu de la caricature. Elle sut se taire pourtant, malgré toutes les réflexions emmagasinées à la seconde. Elle tenait à ce que la première impression fût bonne, afin que, mise en confiance, la belle-sœur ne devînt pas pour elle un espion par trop malveillant.