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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/262

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les cailloux, fut étendu contre la jeune fille et presque sur elle, qui ne s’en aperçut même pas.

Fut-ce quelque soufflet de l’embrun qui fit qu’à la longue elle releva la tête ? Elle se redressa sur son séant, puis se remit sur ses pieds, comme pour voir venir la mort. Ses longs cheveux trop blonds de sirène flottèrent autour de sa tête, ses yeux incolores s’ouvrirent sur une vision intérieure. Elle allait périr comme le grand Le Herpe qu’elle avait voué jadis à la mort. Il la réclamait dans tous les cris du vent et des vagues. Il se vengeait enfin.

Comme lui, bercée entre deux eaux, attaquée dans sa chair noyée par les poissons et les crabes, elle allait voyager longtemps dans la baie, avant d’être ramenée à la traîne dans le port, comme un réserveux.

Son père, sa mère, ses frères, Delphin… Ils furent tous dans son âme, vivants, exacts, avec leur figure de tous les jours. Puis une hallucination dernière fit surgir devant elle l’apparition d’une barque avec son grand mât proche, et son foc tendu à craquer dans la tourmente. Elle comprit que c’était l’agonie, et ferma les yeux en vacillant.

Une main qui lui saisissait le bras la réveilla en sursaut. Le père La Limande et le matelot, béants, la regardaient. Ils approchèrent leur bouche pour qu’elle entendit :

— On nous sauve !… Une barque !… Une barque !…

Comme ils couraient avec elle vers l’apparition, ils heurtèrent du pied Lauderin qui, se relevant à son tour, se mit à courir comme eux.

Petit groupe compact, les jambes dans l’écume, ils virent le bateau jeté vers eux, son étambot cognant le rocher comme pour s’y briser, par grands coups sourds qu’ils entendaient malgré le tumulte universel.

Les prunelles de Ludivine se dilatèrent. À travers le trouble et glauque et formidable remuement de la mer baveuse qui montait