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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/38

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la chose arrivait trop souvent. C’étaient des peines toujours les mêmes, et sans aucun mystère. Du reste, dès qu’elle vit entrer sa fille, la grêlée éclata :

— Avoir des éfants comme j’en ai, s’exclama-t-elle en se mouchant, est point juste, non ! Tu me donnerais la main au lieu de toujours couri, toi qu’es déjà grande, j’aurais un peu moins de mâ là n’dans, que déjà ta vieuille crabe de père fait le cinq et l’quatre dans les cafés, au lieu d’rapporter l’argent ! Y a d’aucunes filles de t’n’âge qui tiennent le ménage. Mais toi, au lieu de m’aider, tu me nuis !

Cette protestation bien légitime ne fit pas plus d’effet que d’ordinaire, parce que, comme toujours, la mère y mettait de la colère, de sorte que Ludivine n’avait qu’une idée : se défendre.

Or il ne fait pas bon attaquer une Normande, même quand elle n’a que quatorze ans. Ludivine répondit par des grossièretés, et cela n’arrangea rien du tout.

— Ah !… sanglota la femme Bucaille, tu verras plus tard, quand t’auras marié queuque grand fléau de pêqueux comme ton père, et que tes éfants te manqueront comme tu me manques, pour me récompenser de mes peines !

Mais le tableau de cet avenir échappait à la fillette. Les avertissements n’ont jamais servi quand ils ne parlent pas de choses éprouvées déjà. S’il en était autrement, la jeunesse apprendrait, avant de vivre, les expériences de l’âge mûr. Tout allait de plus en plus mal à la maison depuis que Ludivine avait l’âge de penser. Le désordre, les disputes, la misère étaient pour elle l’air respirable. Elle ne pouvait donc rien comprendre à l’amertume du cœur maternel. C’est pourquoi, cruellement, elle se mit à ricaner.

L’arrivée bruyante des deux petits frères vint à propos faire diversion.

— Où qu’t’étais ?… crièrent-ils sans tenir aucun compte du chagrin de leur mère. On t’a cherchée partout !