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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/53

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qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, juste le temps de recevoir de lui deux gifles inoubliables. Entré dans sa vie avec tant de force, voici qu’il disparaissait aussitôt.

Elle se leva brusquement. Ce n’était pas possible !

De tout son effort elle essaya de reconstituer le visage impressionnant. Mort. Perdu en mer. La rafale qu’elle avait écoutée, au creux de son lit, cette nuit, c’était donc là son travail, pendant que, tranquille, la fillette se rendormait, bercée par le tapage du vent et de la pluie ?… Mort. Perdu en mer. Actuellement, il traînait entre deux eaux, avec son fils aîné, pauvre corps ballotté. Sa belle vareuse bleue… Sa grande moustache dorée… Son nez droit et fier… Ses yeux dédaigneux… Il n’était plus un homme qui va, qui vient, qui parle, qui rit. Il était un mort, un souvenir lancinant, un fantôme…

Comment exprimer, comment confier à quelqu’un les pensées qui naissaient, qui jamais plus ne quitteraient maintenant la petite tête ?

Désormais, Ludivine avait dans la vie un secret, un trouble, un indicible secret qui la rongerait en silence et qu’elle ne pourrait partager avec personne. Mort… Perdu en mer…

Elle ne s’apercevait pas qu’elle marchait de long en large dans la cuisine empuantie. Elle était inconsciente, absolument hors d’elle-même. Elle ne pouvait pas supporter l’événement.

En cet état la retrouva sa mère, qui rentrait enfin, munie de toutes les nouvelles.

— Ah ! Ma por’tite fille !…

Et, comme il arrive presque toujours quand il s’agit des malheurs des autres, ce fut d’abord d’elle-même et des siens qu’elle parla.

— Quand j’pense que ton malheureux père serait parti, sans moi, c’te nuit, qu’y m’en a foutu sû la goule parce que j’y avais caché ses hardes !

Ensuite :