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Tête basse, comme une fille honteuse et chagrine, elle prit à pas lents l’impasse Sérène pour retrouver le boulevard, pour retrouver la maison Le Herpe.

Il faisait beau. Au bout de l’herbe, le flot calmé montait, plus lisse et plus glissant que de l’huile. La mer hypocrite, la mer, cet être, cette bête, cette mauvaise âme, faisait la doucereuse, maintenant qu’elle avait dévoré sa proie.

Ludivine ne sut pas noter cela. Ses yeux n’étaient occupés que de la maison du deuil, la maison aux volets clos qui ne laissait rien filtrer de son drame intérieur.

Voir quelque chose ! Entendre quelque chose… C’était à cette même place que, grimpée le long de la grille, elle avait, à cette fenêtre, vu le profil de Le Herpe, si calme, et qui parlait en souriant aux siens.

Que faisaient, que disaient, dans la demeure silencieuse aux volets fermés comme des yeux, la veuve et l’orphelin du pêcheur noyé ?

Deux ! Ils étaient deux morts, le père et le fils, qui jamais plus ne repasseraient ce seuil familial.

Delphin, que la fillette avait tant détesté, le petit Delphin si sage et si propret, avec sa vareuse bleue de mousse, élève assidu de l’école des marins de la Basse-Seine, quels sanglots étaient les siens, en cette minute ?

Ludivine n’osa pas grimper à la grille pour mieux écouter. Il lui sembla qu’elle n’oserait plus jamais aucun de ses gestes d’effrontée coureuse de rues. Pour longtemps, peut-être, elle ne serait plus elle-même.

Modestement arrêtée devant cette grille, elle tâchait d’écarter de son esprit la ténébreuse superstition qui l’hallucinait. Non ! Ce n’était pas elle, petite misérable, qui avait condamné cet homme