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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/66

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ans. Au bord même de cette vase où, peut-être, reviendraient bientôt échouer son père et son frère engloutis par l’estuaire, le mousse, pour nourrir sa mère et son prochain petit frère, acceptait son destin de marin voué aux mêmes périls.

Un peu plus bas, comme pour ne pas appuyer Sur une plaie, la fillette articula :

— Vous n’avez plus d’bateau, à c’t’heure…

Il baissa le front :

— Non…

Ludivine était Normande aussi. Mais son cynisme naturel la dégageait, quand il fallait, des nuances de la race. Elle ne retint rien, elle.

— Allez !… s’écria-t-elle, craignez rien ! Vous s’rez un bon marin comme les vôtres ! Avec ça que vous avez suivi les cours de c’t’école-là… Et vous regagnerez vite un nouveau bateau, marchez !

Il parut presque un sourire sur les traits du petit garçon meurtri. De telles paroles, dites sur un tel ton, le réconfortaient tout à coup, lui qui, depuis huit jours, ne vivait que dans l’horreur et les larmes.

Ludivine cueillit son regard au passage.

— J’vous l’souhaite, allez ! dit-elle rudement.

La conversation était terminée. L’ombre venait tout doucement parmi les étrangetés du crépuscule. Le petit Delphin, avant de reprendre un chemin pour laisser l’autre à Ludivine, hésita une seconde avant de lui tendre la main. Elle alla plus vite que lui. Leurs doigts se serrèrent comme furtivement.

— Eh ben ! bonsoir !… dit-il.

Elle partait déjà :

— Bonsoir !… jeta-t-elle.

Marchant vite sur le rebord cimenté, largement elle respirait l’air du soir. Assainie jusqu’au fond d’elle-même, elle goûtait le bien-être de savoir ce que c’est que d’avoir de bons sentiments.