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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/73

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Dans l’ombre, le rire put échapper au mousse. Mais il s’aperçut bien que la fillette ne voulait plus le reconnaître. Peut-être, du reste, en fut-il soulagé. Seul dans la vie avec sa mère, ne devait-il pas exagérer la dignité héritée d’un père intègre ?

Quand elle l’eut passé, Ludivine serra les mâchoires. Sa propre méchanceté lui faisait mal, en même temps qu’elle en éprouvait une volupté sinistre.

Une injuste rancune contre le petit Le Herpe commençait à la travailler. Il est inutile de tenter aucun rapprochement avec ceux qui vous méprisent de naissance. Elle avait commencé le contact par une retentissante paire de claques. Rien de bon ne pouvait suivre. Sa noire mauvaise foi la soutenait. Elle se surprit rêvant des revanches à venir contre la veuve et l’orphelin d’à côté.

Au repas de sept heures, le même jour, elle vola la part de son plus petit frère, Armand, et soutint, devant les sanglots de l’enfant affamé, que ce n’était pas vrai. La distribution de coups qui suivit ne fut pas pour elle. Elle se coucha triomphante, l’estomac plein et l’esprit en gaîté.


✽ ✽

Une expédition, comme ils disent, « en campagne », emportait toute la bande sur les routes rousses, par un petit soleil pâle de saison finie,

Ludivine avait, pour la grande joie de sa horde, retrouvé son entrain, son esprit de conquête, son humeur inventive.

Au tournant d’une route, ils jetèrent des pierres à la femme-facteur qui leur avait déplu. Plus loin, ils escaladèrent un « haut bord » pour voler des pommes.

Il y eut bien des abois de chiens au tonneau, ce jour-là, parmi les fermes isolées dans leurs herbages, bien des vaches effrayées dans les prés écartés, bien des branches méchamment cassées à des arbres fruitiers dont les fruits étaient récoltés depuis longtemps.