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Page:Delarue Mardrus - L’Ex-voto, 1927.djvu/97

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Delphin lui-même trouvait bien naturel de prendre et de garder au fond de sa poitrine la chaleur de ces quelques doigts d’alcool, tison liquide qu’on emporte à travers le vent glacial, et qui aide à supporter tout.

Assis en face de son patron, tenant dans ses mains violettes la tasse de café dans laquelle on venait de verser le calvados, il se dépêchait d’accumuler dans ses gros vêtements bleus la tiédeur de la petite salle où ils n’étaient encore qu’eux deux. Dehors, le bruit isolé d’une paire de sabots claquait, triste, dans la ville endormi et comme morte.

— En veux-tu un autre ?… demanda Bucaille.

— Oh ! non ! patron !… J’pourrais pas !…

Le grand marin se mit à rire. Il pouvait, lui, certes !

Au troisième verre d’alcool, il se leva, suivi du petit. Il n’était pas ivre pour trois verres. Il était seulement de bonne humeur, expansif.

Les vieilles maisons à pignons du quai Sainte-Catherine, dans la lueur fausse de l’heure, se reflétaient si fidèlement dans le bassin qu’on les eût dites plus exactes dans l’eau que dans le ciel. À certaines vitres brillait une lumière, joyau précieusement enchâssé.

En passant devant l’école des marins, sur le quai Saint-Étienne qui fait face, Bucaille se mit à poser gaîment des questions au sujet du métier. Moins en deuil que de coutume, le petit répondit, étonné de constater quelle merveille dort au fond des petits verres.

Ils embarquèrent avec un entrain inconnu. Dans l’avant-port, tous les petits bateaux, délivrés des amarres, semblaient joyeux eux-mêmes de reprendre la mer. L’un derrière l’autre, ils hissaient leurs voiles pour le départ, petit bruit de poulies, premier claquement du vent dans la toile. Et les voilà tous partis en louvoyant, comme si l’alcool bu par leurs marins les faisait tituber aussi.