Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévouée servante ma pauvre mère, dont la santé était chancelante et l’esprit chaque jour moins lucide.

» J’étais prête… Je pris mes économies et sortis du manoir sans dire adieu à ma mère. Elle avait assisté à la scène précédente sans élever la voix pour me défendre et, me voyant brutalement chassée, elle ne venait pas vers moi pour me soutenir et me consoler. Comprenant que cette conduite était inspirée par Georgina, je n’en ressentais pas de rancune, mais une amertume poignante qui m’ôtait toute force pour aller vers cette pauvre maman. D’ailleurs, ma hâte de fuir ce logis détesté ne me laissa pas le temps de rechercher mon devoir en cette circonstance… Je m’en allai sans le baiser maternel, seule dans la nuit et la tempête, car, en m’accompagnant seulement jusqu’à la gare, Mathurine eût risqué de se voir refuser, au retour, le séjour de Bred’Languest.

» Je partis pour Nantes où, comme pensionnaire dans une maison religieuse, vivait une vieille amie de notre famille. Auparavant, je passai par Ker-Neven : je ne pouvais partir sans te revoir, Alix. Pourquoi, alors, ne t’ai-je pas tout dit ?… Mais la honte de la déchéance paternelle, la souffrance et le terrible ressentiment qui me torturaient, le désordre de mes pensées me rendaient incapable de cette confidence… Et puis ton père était là…, ton père, le loyal gentilhomme, que cette révélation du déshonneur planant sur son nom eût terrassé. Ce fut pour toutes ces raisons que je gardai le silence et te quittai après un dernier embrassement.

» Je ne sais comment Philippe parvint à découvrir ma retraite. Toujours est-il que je le vis paraître, un jour, dans cette maison religieuse où ma compatissante vieille amie me couvrait de sa protection. En apprenant de quelle manière j’avais été