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Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/171

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la regardant, Even eut la révélation soudaine du degré de haine de cette sœur envers sa sœur.

— Que t’avait-elle donc fait pour que tu la détestes ainsi ? s’écria-t-il avec un mouvement d’horreur.

Les épais sourcils blonds de Mme Orzal se rapprochèrent violemment, communiquant à son visage contracté une expression de dureté implacable.

— Ne te rappelles-tu pas combien elle était belle ?… plus belle que moi, disait-on toujours, et plus intelligente, douée de toutes façons, prétendait-on aussi. Lorsque j’étais enfant, on m’admirait souvent, mais il suffisait que Gaétane parût pour que les compliments fussent retournés… Et toujours il en a été ainsi. Je comptais épouser Maublars…, il a vu Gaétane, et c’est elle qu’il a voulue. Ensuite vint le tour de Philippe de Sézannek… Et tu me demandes pourquoi je la déteste ! fit-elle dans un cri haineux.

Oubliant l’empire si remarquablement exercé jusqu’ici sur elle-même, elle découvrait les sentiments pervers si longtemps et si bien dissimulés, se dépouillant ainsi, en même temps que de son charme fascinant, des dernières traces de sa beauté. Telle elle était en réalité, telle la découvrait aujourd’hui Even : enivrée d’envie et passionnée de vengeance.

— Et c’est pour cela que tu l’as fait chasser, que tu as brisé son cœur et, enfin, que tu l’as accusée de vol ? dit-il en secouant furieusement le bras de sa sœur.

— Oui, c’est pour cela surtout, répondit-elle cyniquement. Je hais tous ceux qui sont beaux et bons… et c’est encore pour cette raison que je t’ai ôté la foi, la dignité, la bonté. Maublars et moi travaillons à la même œuvre en luttant contre ce Dieu que nous voulons vaincre… Et nous serons les plus forts, entends-tu, Even ?

— Jamais, malheureuse !… et remercie ce Dieu